lundi 1 novembre 2010

DREAMVILLE chroniqué par Les Immortels


Les albums qui paraissent en automne subissent le même traitement que les fictions de la sortie littéraire. De ce côté, 700 romans nouveaux (avec bien peu de nouveaux romans). De l’autre peut-être autant de C.D.. De ces deux flots, que retient-on ? Une quinzaine de têtes d’affiche. Toujours les mêmes. Elles bénéficient des bonnes cartes et des bons réseaux. Le reste passe à la trappe. Il y a pourtant dans tout ce qui reste des pépites. Le Dreamville de Drunken C (Cécile Raynaud) en est une. D’habiles déconstructions neo new wave très sombres mais pleines d’énergie donnent à cette « ville de rêve » une atmosphère très spécifique : de fait l’auditeur est projeté dans une des villes dressées dans les cauchemars de Lars von Trier. Electro et rock dark s’engouffrent dans les rues sordides pour faire lever d’étranges nuages sonores parfaitement envoûtants et riches d’interdits macabres. Tout évolue de manière menaçante, sinistre, presque dantesque pour venir crucifier une seconde fois jusqu’au Christ lui-même armé de buis béni dans les maisons de cette cité inquiétante où l’artiste nous fait perdre pied.

La musique germe sur des remblais plus que sur des ramblas. Pas de sucrerie, juste des fish and chips dans du papier gras. Le romantisme n’est pas au rendez-vous. Depuis longtemps il a dû chavirer et rentrer en catalepsie. Et il ne faut pas compter sur Drunken C pour le réveiller : elle a mieux à proposer. Les sons se vrillent ou surgissent par secousses. L’artiste se fait négresse blanche à la voix parfois acidulée mais, surtout, bitumeuse à souhait. Dans ses avancées sonores aussi massives que vulnérables les certitudes tanguent sans pour autant que la musique déraille. Chaque morceau possède sa particularité, sa propre noirceur. Dans leurs nappes aucun effets. Chaque titre s’enfonce par spasmes pour infuser et paradoxalement en énergie vitale une brume sombre. La guitare secoue parfois les cendres mais le gris s’accroche aux poumons de l’artiste pour en extraire des ahanements hypnotiques (”Dreamvil”). La musique possède la capacité rare de creuser le présent aussi bien par riffs et cérémoniaux répétitifs (”Soul empty”) que par des mélopées abyssales (”Clouds Jesus”). Se crée une rencontre mystérieuse dont seule la fréquentation assidue procure les clés. Peu à peu, Dreamville épouse et construit notre musique intérieure – la seule qui vaille l’abandon de l’ouïe à « l’altération » sonore.

Les divers tempos créés par la musicienne donnent sa mesure du monde. Et rarement un album semble si proche de la couleur du temps. Sa tonalité crée une dilatation moléculaire d’un océan de fantômes en perdition mais qui semblent vouloir croire encore à l’existence. Chaque morceau rêve d’un temps à l’état pur et d’une invasion des sens par une poésie sonore qui devient celle de l’abandon. Là où trop de musiques piétinent, singent le mouvement Drunken C lui redonne la vie en prenant tout en charge : musique, instruments, textes et même photographies. Ce qui ne veut pas dire que l’artiste ait une mentalité de propriétaire. Au contraire. Passant sa propre éloquence et sa facilité à la moulinette, refusant la loi des modes, sa musique n’est pas absorbée par la musique. Cécile Raynaud (car il faut bien aussi l’appeler par son nom) sait que toute création sonore ne peut avancer qu’en oubliant les écoles. Elle ne se crée qu’offerte à l’aventure de ce qui la déborde. A ce titre Dreamville reste un des CD les plus remarquables de l’automne 2010.


http://www.lesimmortels.com/blog/chronique-musicale/2681/2010/10/31/drunken-c-dreamville-2010-autoproduit/

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