vendredi 26 novembre 2010

Chronique sur Coreandco



Pour ne rien vous cacher, c’est mon excellent et prolifique confrère Will (Refuse to keep silent) qui m’a fait découvrir l’univers riche de Drunken C. « Tu vas voir, tu vas adorer ». Certes, nous partageons entre – autres, une passion commune pour le rock bruitiste des années 90. J’ai donc écouté Toc Toc Toc, le premier effort ( ?) paru en janvier 2010 et je fus assez tôt absorbé par la forte tenue du propos et particulièrement par le morceau "Tussing and Turning" ; Lo-Fi mais délibérément envoûtant.



Drunken C– pour Drunken Butterfly (Sonic Youth) – est un projet à considérer comme un laboratoire. Des essais-échecs, des mises en gestation, du travail sans répits pour en extraire la substantifique moelle mélodique ou bruitiste qui accompagnera le titre.

Forte d’une expérience de vie variée, des voyages, des groupes antérieurs, un temps passé à Montréal, Cécile Raynaud triture et expérimente depuis 3 ans un rock noisy, référencé, célébrant l’électricité libre et les souffles sourds des années new-wave. Pour mieux comprendre sa démarche, il est impératif de rencontrer cette artiste multiple via son blog ou la réalisation par exemple de la pochette qui accompagne ce disque et les courtoisies qui l'accompagne, du travail d'orfèvre. Les images, les sons, les vidéos choisis sont tous tournés vers une forme de célébration d’une certaine contre-culture. A l’instar de Madame B (chronique de Topsy Turvy world), Cécile Raynaud nous propose un tout. Et oui, on trouve quelques similitudes dans leurs ‘mondes’ respectifs. Amusant de constater que chez les filles, on trouve davantage un « tout » lorsqu’elles prennent le maquis. Pas de fausse pudeur mais le respect envers les aînés et une inscription dans la suite, logique !



"Soul Empty" annoncé par une boîte à rythme punkoïde apporte tout en échos la voix malicieuse de Cécile, ambiance sombre comme Robert Smith se plaisait à écrire à l’époque des 3 garçons imaginaires ! Beaucoup de fougue et de morgue dans la voix. Le morceau s’annonce déjà comme un classique instantané. "Mary is dead since" nous plonge en plein trip Sonic Youth. "Disrespecful summons" nous invite chez PJ Harvey. Voyage à travers les émotions. "Cloud Jesus" qui s’insinue en nous sous forme d’interlude est une des plus belles preuves de liberté de création de l’auteur, on aimerait le titre plus long. Phase 2. De "Dreamevil" à l’electro-choc "The sweet Devil Hand", Drunken C explore toutes les facettes précédemment cités. Le résultat n’en est que plus enthousiasmant puisque l’auditeur est habité par toute la mesure de l’œuvre et la personnalité de son interprète.



Au final, on se dit que Dreamville mériterait une production plus habillée, tant les morceaux crus ont déjà de la tenue.

Ukhan Kizmiaz
le 26/11/2010

Photobooth


lundi 1 novembre 2010

DREAMVILLE chroniqué par Les Immortels


Les albums qui paraissent en automne subissent le même traitement que les fictions de la sortie littéraire. De ce côté, 700 romans nouveaux (avec bien peu de nouveaux romans). De l’autre peut-être autant de C.D.. De ces deux flots, que retient-on ? Une quinzaine de têtes d’affiche. Toujours les mêmes. Elles bénéficient des bonnes cartes et des bons réseaux. Le reste passe à la trappe. Il y a pourtant dans tout ce qui reste des pépites. Le Dreamville de Drunken C (Cécile Raynaud) en est une. D’habiles déconstructions neo new wave très sombres mais pleines d’énergie donnent à cette « ville de rêve » une atmosphère très spécifique : de fait l’auditeur est projeté dans une des villes dressées dans les cauchemars de Lars von Trier. Electro et rock dark s’engouffrent dans les rues sordides pour faire lever d’étranges nuages sonores parfaitement envoûtants et riches d’interdits macabres. Tout évolue de manière menaçante, sinistre, presque dantesque pour venir crucifier une seconde fois jusqu’au Christ lui-même armé de buis béni dans les maisons de cette cité inquiétante où l’artiste nous fait perdre pied.

La musique germe sur des remblais plus que sur des ramblas. Pas de sucrerie, juste des fish and chips dans du papier gras. Le romantisme n’est pas au rendez-vous. Depuis longtemps il a dû chavirer et rentrer en catalepsie. Et il ne faut pas compter sur Drunken C pour le réveiller : elle a mieux à proposer. Les sons se vrillent ou surgissent par secousses. L’artiste se fait négresse blanche à la voix parfois acidulée mais, surtout, bitumeuse à souhait. Dans ses avancées sonores aussi massives que vulnérables les certitudes tanguent sans pour autant que la musique déraille. Chaque morceau possède sa particularité, sa propre noirceur. Dans leurs nappes aucun effets. Chaque titre s’enfonce par spasmes pour infuser et paradoxalement en énergie vitale une brume sombre. La guitare secoue parfois les cendres mais le gris s’accroche aux poumons de l’artiste pour en extraire des ahanements hypnotiques (”Dreamvil”). La musique possède la capacité rare de creuser le présent aussi bien par riffs et cérémoniaux répétitifs (”Soul empty”) que par des mélopées abyssales (”Clouds Jesus”). Se crée une rencontre mystérieuse dont seule la fréquentation assidue procure les clés. Peu à peu, Dreamville épouse et construit notre musique intérieure – la seule qui vaille l’abandon de l’ouïe à « l’altération » sonore.

Les divers tempos créés par la musicienne donnent sa mesure du monde. Et rarement un album semble si proche de la couleur du temps. Sa tonalité crée une dilatation moléculaire d’un océan de fantômes en perdition mais qui semblent vouloir croire encore à l’existence. Chaque morceau rêve d’un temps à l’état pur et d’une invasion des sens par une poésie sonore qui devient celle de l’abandon. Là où trop de musiques piétinent, singent le mouvement Drunken C lui redonne la vie en prenant tout en charge : musique, instruments, textes et même photographies. Ce qui ne veut pas dire que l’artiste ait une mentalité de propriétaire. Au contraire. Passant sa propre éloquence et sa facilité à la moulinette, refusant la loi des modes, sa musique n’est pas absorbée par la musique. Cécile Raynaud (car il faut bien aussi l’appeler par son nom) sait que toute création sonore ne peut avancer qu’en oubliant les écoles. Elle ne se crée qu’offerte à l’aventure de ce qui la déborde. A ce titre Dreamville reste un des CD les plus remarquables de l’automne 2010.


http://www.lesimmortels.com/blog/chronique-musicale/2681/2010/10/31/drunken-c-dreamville-2010-autoproduit/